Cette dernière année, j’ai compris en quoi les principes d’IDEAS et les modes de connaissance, de savoir-être et de savoir-faire autochtones devaient guider l’approche et les pratiques de l’ICC dans ses interactions avec les personnes et les collectivités exposées aux discriminations fondées notamment sur l’identité de genre, l’âge, le handicap, l’orientation sexuelle, l’identité ethnoculturelle ou le lieu de résidence.
À l’ICC, nous utilisons le terme « groupes méritant l’équité » pour décrire l’ensemble des personnes qui comptent parmi les plus vulnérables aux troubles neurologiques et cardiaques, et qui, pourtant, sont désavantagées quand elles veulent participer à la recherche et accéder aux soins de santé.
Pendant l’une de nos premières conversations, Malcolm King, co-responsable du comité transversal des relations avec les Autochtones, m’a parlé de l’Aîné et théoricien , qui a proposé le concept d’espace éthique. Cette approche autochtone veut que l’on respecte également les savoirs autochtones et occidentaux en raison de leurs forces et de leurs particularités, tout en tenant compte des partis pris, des relations de pouvoir, des injustices et des conflits. En nouant des relations fondées sur le respect, la confiance, l’humilité et la responsabilité, nous réunissons les conditions propices au dialogue.
Malcolm King a aussi présenté un concept distinct mais apparenté, l’etuaptmumk (« vision à deux yeux »), en ce qui concerne la collaboration avec les communautés des Premières Nations, les Inuit et les Metis. L’etuaptmumk repose sur le fait que les peuples autochtones ont un savoir et des pratiques riches en matière de santé et de mieux-être, et que la science occidentale offre également des connaissances et des pratiques bénéfiques. La meilleure façon de créer des conditions propices à la guérison et un système de santé porteur, c’est d’allier les deux perspectives. En tant qu’anthropologue médicale ayant passé la majeure partie de sa carrière en Afrique pour apprendre comment les collectivités composaient avec les maladies chroniques, ce concept me semble parfaitement sensé. C’est là que j’ai appris le terme ubuntu, qui signifie que notre bien-être ne repose pas seulement sur nous-mêmes, mais aussi sur nos relations avec nos ancêtres et nos semblables. Nos interconnexions mentales, physiques et spirituelles dépendent du contexte et sont ancrées dans la culture.
Le sommet 7-Directions
En mars 2025, j’ai eu l’honneur d’être invitée par la direction de l’ICC à représenter le secrétariat au de Mitewekan, qui avait lieu à Edmonton en Alberta. Le sommet avait pour but de favoriser les discussions sur les troubles neurologiques et cardiaques d’après le principe de « vision à deux yeux » en suscitant la participation de personnes autochtones ayant vécu avec ces troubles, et en adoptant les perspectives de la patientèle, de personnes proches aidantes, de membres de collectivités autochtones, d’Aînées et Aînés, de parties prenantes autochtones et allochtones de la communauté de recherche médicale, et d’autres personnes alliées. Le sommet s’inscrit dans le cadre d’un partenariat de l’ICC avec Mitewekan (mot cri qu’on pourrait traduire par « l’esprit derrière le battement de cœur »), un conseil autochtone réunissant des Aînées et Aînés, des gardiennes et gardiens du savoir, des gens vivant ou ayant vécu avec des troubles neurologiques et cardiaques, et des leaders en santé de partout au Canada. Ce groupe de recherche et de mobilisation s’assure du respect des valeurs culturelles dans la recherche et les soins associés à la connexion cœur-cerveau, adoptant le principe de la vision à deux yeux pour améliorer la santé cardiaque et neurologique des personnes autochtones. Mitewekan agit aussi comme comité transversal des relations avec les Autochtones de l’ICC.
Toutes les personnes participant au sommet séjournaient dans un hôtel de la Nation crie d’Enoch, et c’est dans cet espace autochtone que j’ai été l’une des quelques personnes blanches à prendre la parole. Le matin même, j’ai été accueillie par l’une des personnes membres du comité transversal des relations avec les Autochtones, qui m’a invitée à m’asseoir. Je me suis retrouvée dans un groupe d’une vingtaine de personnes, qui discutaient informellement dans une atmosphère chaleureuse et amicale. Une gardienne du savoir m’a saluée, m’assurant que nous étions toutes et tous ici pour apprendre et que nous étions les bienvenus. J’ai vu le professeur Malcolm et la Dre Alexandra King également assis dans le cercle, en pleine discussion avec d’autres participantes et participants. On retrouvait dans la salle des personnes d’âges, de genres et d’origines ethniques variés, y compris certaines d’ascendance autochtone. J’ai rencontré bien des gens, dont une personne vivant avec des troubles neurologiques et cardiaques qui collabore actuellement avec l’ICC. Comme moi, ces personnes non autochtones avaient eu le privilège d’être invitées dans le cercle pour apprendre.
La journée a commencé par un mot de bienvenue, puis un gardien du savoir a prononcé une bénédiction. Ses mots m’ont bouleversée. Ils faisaient ressortir le besoin crucial pour les personnes autochtones de se sentir accueillies et de trouver leur place en communauté, et présentaient cette journée comme une occasion très spéciale de faire part de nos expériences dans un espace sûr. J’ai ensuite fait l’expérience de la purification par la sauge, une personne plus jeune assistant l’Aîné à faire le tour du cercle. Puis, les membres du cercle ont relaté diverses expériences vécues : certaines personnes vivaient avec de l’insuffisance cardiaque, prenaient soin d’un être cher ayant des troubles neurologiques et cardiaques, avaient perdu une ou un proche en raison de tels troubles, avaient vécu un accident vasculaire cérébral ou étaient confrontées à des obstacles ruraux ou urbains à la santé. Peu importe la personne ou la situation, chaque témoignage faisait état d’une vie quotidienne marquée par la vulnérabilité et les défis associés à une mauvaise santé. Les membres du cercle ont aussi insisté sur l’importance de la vie, plutôt que sur la mort. Pendant la séance d’orientation, j’ai appris qu’il s’agissait d’une forme de recherche autochtone. J’ai appris plus tard que les cérémonies étaient aussi une forme de recherche qui facilite l’apprentissage, le bien-être spirituel et les connexions. J’étais reconnaissante d’y avoir contribué en tant que représentante du secrétariat de l’ICC, une source de financement.
Réflexions sur le sommet
Quatre mois plus tard, ce qui me touche profondément, c’est le souvenir de la séance d’après-midi lors de laquelle on a séparé les hommes et les femmes en deux cercles de partage sacrés. L’Aîné, visiblement très respecté de tout le monde, a invité les hommes à l’accompagner dans une autre salle. On a fait quelques blagues sur cette séparation entre les femmes et les hommes, mais ça a ensuite permis à chaque groupe de parler des problèmes de santé liés au genre. Après le départ des hommes, on m’a invitée à rejoindre le cercle. La gardienne du savoir et facilitatrice du groupe a expliqué que la discussion avait pour objectif de témoigner de nos expériences liées au réseau de la santé et aux troubles neurologiques et cardiaques, de notre façon de vivre et de composer avec le tout, et de notre vécu en général. Avant les échanges, nous avons toutes et tous reçu des formulaires de consentement indiquant l’utilisation prévue des discussions tenues pendant la journée. On nous a avisés que les conversations seraient enregistrées, mais qu’on pouvait interrompre l’enregistrement à tout moment si une personne ne souhaitait pas que son témoignage y figure. Le cercle de partage renvoie à une méthode de recherche autochtone lors de laquelle on amasse des connaissances par des conversations de groupe respectueuses, qui valorisent les enseignements traditionnels, le vécu et les réflexions spirituelles. Ces espaces sûrs sont propices à l’apprentissage, à la santé et à la guérison.
Nous avons fait trois tours de parole, pour répondre chacune à trois questions sur notre vécu. Ça semblait naturel, comme une conversation avec des amies proches. Je me souviens de la force de ces témoignages et de leur diversité; ils faisaient un portrait de ce que c’était de côtoyer les troubles neurologiques et cardiaques comme patiente, aidante, ou membre de la communauté autochtone. J’ai pu constater que ces troubles peuvent nous toucher à tout âge, fragiliser notre santé mentale et renforcer le sens de l’amour dans les relations familiales. Pour les personnes les plus touchées, il peut être question de nombreuses chirurgies, d’un désir de vivre une vie normale autant que possible, et d’un attachement au précieux réconfort offert par les proches. Il existe aussi des personnes qui ont des besoins de santé urgents, mais qui sont isolées sur le plan géographique et social, ce qui peut être le point de bascule entre la vie et la mort, ou signifier la perte d’un être cher à tout jamais.
Transparaissent aussi dans ces témoignages la résilience et l’histoire de la colonialité. Une personne a décrit ses troubles neurologiques et cardiaques, ainsi que la tendance des médecins à adopter un langage biomédical incompréhensible pour les patientes et patients. Elle a expliqué qu’elle pouvait cependant les inciter à utiliser d’autres modes de communication, comme des images ou un langage vulgarisé. Toutes, moi y compris, ont parlé d’expériences très difficiles. Dans tout autre contexte professionnel ou groupe de discussion, je n’aurais jamais abordé mes propres traumatismes avec des personnes que je ne connais pas. Il s’agissait d’espaces sûrs, où les témoignages faisaient écho aux analyses universitaires sur les troubles neurologiques et cardiaques. L’approche incarnait cette vision à deux yeux – une vision holistique de la vie avec la maladie – où les aspects biologiques, sociaux, physiques, spirituels et matériels étaient interreliés. C’est un contexte où l’écoute des témoignages et de la souffrance de l’autre devient une forme de guérison et de résilience. Je suis reconnaissante de cette occasion d’apprentissage[1].
[1] Selon les conceptions autochtones, le terme holistique renvoie à l’entièreté du corps ou de la personne, ce qui comprend le corps, la pensée et l’esprit, et représente la santé et le bien-être. Il renvoie aux multiples dimensions de la personne, à l’équilibre qu’elle entretient avec son entourage (famille, collectivité), ainsi qu’avec l’environnement.
En savoir plus
C’était un honneur de participer au sommet 7-Directions. La participation intégrale aux activités comme personne non autochtone change tout. J’ai appris comment les cercles sacrés d’hommes et de femmes, animés par une Aînée ou un Aîné, ou par une gardienne ou un gardien du savoir, permettent de guérir et de bâtir des relations de soutien et de soin. C’est l’aspect puissant des témoignages, par la parole et l’écoute active, et les mots rassurants du début de la journée, qui ont rendu ce contexte sûr et confidentiel. J’en reste profondément honorée.
Pour en savoir plus sur Mitewekan et ses initiatives d’intégration des perspectives autochtones dans les travaux de recherche, .