Diplômée de l’Université de droit de Hanoi, son parcours postdiplôme n’a pas été de tout repos. Elle a dû faire preuve de persévérance, car des contraintes de temps et des obligations familiales lui ont fait rater plusieurs occasions. Déterminée à atteindre son objectif, elle a fait une demande d’admission à l’Université d’Ottawa, attirée par l’expertise en matière de technologie, de protection de la vie privée et d’intelligence artificielle de la Faculté de droit.
Les travaux de Mme Nguyen portent sur la façon dont les nouvelles lois sur le « droit à la déconnexion » protègent le personnel et redéfinissent la notion de vie privée dans la culture de travail hyperconnectée d’aujourd’hui. Cet automne, elle participe au programme de maîtrise de la Faculté de droit, qui a le plaisir d’annoncer sa nomination à titre de lauréate de la prestigieuse Bourse Ian-R.-Kerr pour l’année 2025-2026, une juste reconnaissance de sa résilience, de son ambition et de sa passion pour l’avenir du droit et de la technologie.
Nous l’avons rencontrée pour en savoir plus sur son parcours et ses recherches.
Q. Quel est l’objet de vos recherches?
Thu Uyen Nguyen : Je souhaite me pencher sur le droit des employées et employés à la déconnexion. L’intégration des technologies dans les entreprises est inévitable. Les robots et les systèmes d’IA peuvent porter atteinte à notre vie privée, car ils sont dépourvus de sensibilité, de conscience, de cognition, de contrôle et de connaissances, et qu’aucun humain n’intervient dans leurs processus.
Au Vietnam, les lois sur la protection de la vie privée, la réglementation sur l’intelligence artificielle et les droits numériques et de la personne progressent rapidement. La (2018) et le (pages en anglais) sont actuels et conformes aux normes internationales par rapport à d’autres pays. Ces règles découlent de la notion voulant que, dans certains cas, les humains et les robots obtiennent des résultats plus importants ensemble que séparément. Cependant, malgré des lois strictes en matière de cybersécurité et de protection des données, des problèmes persistent quant à leur application et à la facilité de mise en œuvre pour les entreprises.
Pour effectuer une recherche comparative approfondie sur le droit à la déconnexion, je devrai mener une analyse complète des lois et des règlements existants dans les pays qui ont légalisé ce droit ou qui ont un intérêt dans ce domaine, ainsi que des entretiens et des enquêtes avec des spécialistes dans divers domaines.
Q. Parlez-nous d’une réflexion ou d’une découverte tirée de vos recherches qui vous a particulièrement marquée.
Thu Uyen Nguyen : J’ai réalisé qu’un lieu de travail non délimité ne devrait pas être la norme. Aujourd’hui, avec les applications technologiques qui permettent d’accéder aux documents de travail partout et à tout moment, les gens peuvent se connecter trop facilement, ce qui rend les relations de travail plus tendues.
D’une part, cette relation de travail étroite fait en sorte que les employeurs attendent davantage des membres de leur personnel. Ils leur confient plus de tâches, leur envoient plus de textos, et envahissent peu à peu leur vie privée. D’autre part, à mesure que le marché du travail devient plus compétitif et que le taux de chômage augmente, ces mêmes membres ont l’impression d’être sur la corde raide et essaient de répondre à l’ensemble (ou à la plupart) des demandes de leurs employeurs. Et si cette réalité est devenue la nouvelle norme pour mon entourage, ça ne devrait pas être le cas. Cette « nouvelle normalité » menace la santé mentale des travailleurs et travailleuses, qui ne peuvent atteindre un équilibre travail-vie personnelle.
Q. Qu’espérez-vous que l’on retienne de vos recherches?
Thu Uyen Nguyen : Avec cette recherche, je souhaite recommander des améliorations au système juridique vietnamien et contribuer au cadre théorique existant visant la protection du personnel. Bien que le Vietnam ait jeté les bases de la législation en matière de protection du droit à la vie privée, certaines limites subsistent par rapport au droit international et à la législation en vigueur ailleurs dans le monde.
Le cadre juridique existant manque avant tout de documents distincts et de réglementations précises qui concernent exclusivement les droits en matière de confidentialité des données et la protection des renseignements personnels. De plus, certaines dispositions actuelles qui régissent la protection des droits en matière de données personnelles sont ambiguës et fondées sur des principes généraux, ce qui peut donner lieu à des erreurs d’interprétation et à une application inégale de la loi. Par ailleurs, les règlements régissant les sanctions en cas de violation de ces droits sont jugés insuffisants et leur effet dissuasif est faible.
Q. Pour le professeur Ian Kerr, il était important de favoriser la diversité des perspectives dans les conversations sur le droit et les technologies. Comment cette vision se reflète-t-elle dans votre travail?
Thu Uyen Nguyen : Ma perspective est celle d’un pays en développement d’Asie du Sud-Est, qui bénéficiera de ma recherche. Cela crée un autre modèle de pensée en matière de solutions juridiques innovantes, en particulier au sein de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN). J’ai l’intention de faire des recommandations pour améliorer les lois et les politiques sur le droit à la déconnexion au Vietnam. Cette analyse, qui vise à améliorer le droit vietnamien, servira d’exemple à d’autres pour l’intégration des lois et des technologies émergentes. J’espère aussi contribuer aux théories juridiques sur la protection de la vie privée et des données, à celles sur les droits du travail à l’ère des technologies, ainsi qu’aux concepts juridiques des pays en développement.
Dans mon pays, la perspective de développer une concentration en droit et technologie est à la fois opportune et prometteuse, compte tenu de la demande croissante. Avec la forte volonté nationale de mener une transformation numérique, ce projet pourrait non seulement combler une lacune importante dans la formation juridique, mais aussi positionner le Vietnam comme un chef de file régional en droit des technologies. Toutefois, il faudra peut-être quelques années de préparation, car le moteur essentiel sera constitué de chercheurs formés à l’international qui, de retour au Vietnam, pourront à la fois enseigner et contribuer au développement institutionnel.
Q. Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui envisage des études supérieures en droit?
Thu Uyen Nguyen : Les études en droit peuvent être ardues, mais gratifiantes. L’obtention d’un diplôme d’études supérieures en droit, en particulier dans un établissement prestigieux, peut s’avérer difficile en raison de l’ampleur des travaux de recherche exigés. Les personnes décidées à s’engager dans cette voie doivent faire une recherche approfondie sur le sujet de leur majeure et savoir pourquoi elles suivent ce parcours : se spécialiser, changer de carrière, entreprendre une carrière dans le milieu universitaire ou améliorer ses compétences en vue d’une expérience de travail à l’étranger.
Après mûre réflexion, elles doivent enrichir leur parcours universitaire en intégrant des associations étudiantes et des centres de recherche, et en participant à des conférences sur des questions juridiques. Elles peuvent également participer à des stages offerts par des employeurs et profiter d’assistanats de recherche afin d’acquérir une expérience pratique ou universitaire.
Mon conseil le plus précieux est le suivant : apprenez à demander de l’aide, et ayez le courage de le faire quand vous en avez besoin.
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Les bourses Ian-R.-Kerr soutiennent des personnes exceptionnelles inscrites à la maîtrise en droit et technologie. Mis sur pied en l’honneur des contributions du professeur Kerr au domaine du droit des technologies, le programme vise à donner aux chercheuses et chercheurs émergents qui ont un parcours non traditionnel et aux étudiantes et étudiants internationaux les moyens d’aller de l’avant.
Félicitations à Mme Nguyen; nous avons très hâte de voir quelle direction prendront ses prochains travaux de recherche!